Edition du Mar 19 Nov 2002 de la Voix du Nord
Hommage par Julien LECUYER
Roulement de tambours
A quatre mois du carnaval, la confrérie des tambours-majors s’était donné samedi rendez-vous à l’église Saint-Eloi pour rendre hommage à Jean Bart. Moment de recueillement, et de souvenir.
IL y a quelque chose d’absurde à voir s’agiter sur le pavé gris ces parcelles de couleurs au verbe haut. Ce n’est pas que ça dérange quidam ou tartempion, surtout à Dunkerque où les uniformes battent toujours le rappel des festivités. Mais ce n’est pas la saison.
« Ah mais non, min gamin, interrompt Cô-Schlock Ier, sur le parvis de l’église Saint-Eloi, le carnaval, on est toute l’année dedans. Et puis les préparatifs de sécurité ou de travaux ont déjà commencé. » Autour de lui, les autres tambours-majors acquiescent doctement.
Une journée comme celle de samedi, où leur confrérie commémore la mort de Jean Bart, n’est pas sans rappeler que leur fonction musicale n’est que le reflet ponctuel d’une mission d’apparat. En résumé, on n’est pas tambour-major un mois de l’année, on l’est toute l’année... à vie.
Commandeurs des fifres et des flûtes
Monarques absolus de la bande, chefs d’orchestre indétrônables, officiers commandeurs des fifres et des flûtes, les tambours-majors pénètrent l’église avec la rigueur toute militaire que leur impose la tenue. La fierté est là, aussi sensible que ces poussières qu’ils époussettent au revers de la manche. « Ça a toujours été mon rêve, commente Cacaille Ier, tambour-major de Saint-Pol-sur-Mer. J’étais déjà tambour-major de l’harmonie. J’ai postulé pour la musique et pour le prestige, avec mon style. » Et son style, d’après ses camarades, c’est une référence au sein de la confrérie. « On impose son rythme et ses battements, poursuit Cacaille Ier. Mais la première année, comme pour moi il y a quinze ans, on essaie surtout de bien gérer les carnavaleux derrière. »
Pekbroeck Ier, tambour-major de Brouckerque, se souvient lui aussi de ce sentiment inexplicable de la première bande. Dix ans après, il rigole avec Cacaille Ier : « La première, c’est le souvenir aussi d’une grosse fatigue ! » On imagine sans peine. Nommé par la mairie – comme beaucoup d’autres de ses camarades – Pekbroeck Ier a apprécié cette traversée instantanée de l’ombre à la lumière : « Quand on est tambour-major, on ne sait plus se balader sans rencontrer quelqu’un. Et je ne parle même pas des jours de carnaval. Impossible de répondre à toutes les invitations... »
Pekbroeck Ier rejoint les onze autres tambours-majors présents à cet hommage solennel au vrai patron de la ville. Autour du tombeau, la Cantate sur les lèvres, le fondement inébranlable du carnaval a repris le dessus quelques instants. Le temps d’un chant qui a toujours sonné comme une prière.
Pour le chant et la musique, Pint’je Bier, à Grande-Synthe, sait qu’il a encore des progrès à faire. Logique somme toute pour ce tambour-major des années 90, membre de l’équipe d’animation de la mairie. Il hausse les épaules et ses grosses bacchantes : « Bah, quand on fait le carnaval depuis l’enfance, c’est pas tellement compliqué. » N’empêche. Il dut écouter les conseils de son ami trompettiste Christophe Denys pour comprendre les rudiments les plus simples. Paraît-il que quelques plafonds portent encore les stigmates des exercices au bâton. Mais l’événement justifiait l’effort. Pint’je Bier allait mener, pensez-vous ?, une nouvelle bande. « Ah ! Le stress, évoque-t-il tout en gobant sa bière. Il fallait faire tout Grande-Synthe. On est parti à 14 h 30 pour ne s’arrêter qu’à 20 h 30. Mais, dès qu’on a mis le costume, on a le coeur qui s’emballe. »
« C’était mieux qu’un mariage »
Parlez-en à Cédric Vankemmel, Teutre Ier pour le public, tambour-major de Leffrinckoucke et cadet de la confrérie, à 29 ans. « C’est ce que j’avais toujours voulu être, avoue-t-il, les yeux brillants. Je me souviens de la solennité de l’intronisation, le 8 mars 1996. Toutes les associations étaient là. C’était mieux qu’un mariage. » On n’est pas si loin en effet de cette union, lorsque le tambour-major décide de mener sa commune jusqu’à la mort. « Si je ne peux plus marcher, défie Pint’je Bier, on n’aura qu’à me mettre dans un chariot d’Auchan ! »
Il y a du capitaine accroché à la barre derrière la gouaille et l’apparente décontraction de ces uniformes rouges et bleus. De quoi pardonner les lacunes en trigonométrie.
« Normalement, vous deviez être là, engueule gentiment Cô-Schlock Ier au sortir de la cérémonie d’hommage, à l’attention des deux cantinières qui essaient de comprendre le dessin aux formes géométriques qui leur présente. La prochaine fois, je ferai un plan. »
Il lève la tête, hume le vent coulis, passe une main épaisse sur son ventre : « Bon, on va à la chapelle d’à côté ? »